Ultralibéralisme...ou ultraétatisme. Qui est le coupable ?

Publié le par loïc abadie

La situation actuelle, décrite dans ce blog est caractérisée par une bulle financière généralisée, une croissance anarchique de la dette, une spéculation excessive sur les marchés monétaires, boursiers et immobiliers, et une absence d’évaluation correcte du risque par les opérateurs économiques.
Ce château de cartes étant selon mon analyse sur le point d’imploser, on peut se poser la question du « coupable » à l'origine de cette situation.
 
Il y a deux grandes réponses à cette question :
 
1)      La psychologie des foules.
 
Instinct grégaire et comportement irrationnel
 
Les acteurs économiques, même les plus instruits et les plus experts, n’agissent pas de façon rationnelle.
De nombreuses expérimentations le montrent, on pourra en trouver un aperçu dans cet article :
http://interstices.info/display.jsp?id=c_19183 ainsi que dans le numéro de juillet 2006 de la revue « Pour la Science » qui contient un excellent article sur les marchés artificiels.
 
Les opérateurs vont dans certaines situations spéculer et s’échanger des actifs très au dessus de leur valeur fondamentale. Même si cet actif est très simplifié à l’extrême dans le cadre d’une expérience artificielle, et que son évaluation ne pose aucun problème (voir l’article d’intestices).
 
Les bulles spéculatives sont donc au départ des phénomènes normaux, liés à la nature « grégaire » du cerveau humain : dans les périodes préhistoriques, le comportement grégaire était un avantage évolutif, vu qu’il favorisait le regroupement en tribus et la cohésion de celles-ci.
Appliqué à l’époque moderne, ce comportement favorise des mouvements de foule à l’achat ou à la vente selon les situations, avec des bulles spéculatives ou des phases de panique.
 
Perception du risque
 
Cette perception du risque varie dans les sociétés, en fonction de l’histoire présente dans la mémoire des individus qui la composent :
Après la guerre et jusqu’à la fin des années 60, la conscience du risque restait très présente : les générations au pouvoir avaient toutes en tête la crise des années 30 et la guerre mondiale. Leur attitude était donc très prudente, et cette période n’a pas donné naissance à des bulles de crédit ou des vagues de spéculation importante.

A partir de la fin des années 60, les premiers « craquements » sont intervenus au sein des jeunes générations : mouvement hippie, mai 68 en France, mouvement punk.
La croissance se poursuivant globalement (malgré des récessions légères et courtes associées aux chocs pétroliers), la peur du risque s’est progressivement affaiblie, et les jeunes générations à l’origine des mouvements contestataires des années 60-70 sont arrivées au pouvoir.
La psychologie des foules a continué à évoluer au cours des années 80-90, et les décennies de croissance ont conduit progressivement les foules à développer un « sentiment d’invulnérabilité » : Puisque la croissance dure depuis 40, 50 ou 60 ans…c’est qu’elle va durer tout le temps, et qu'on peut donc s'endetter sans risque !
C’est ce sentiment d’invulnérabilité qui est le carburant de base de toutes les bulles spéculatives que nous connaissons en ce moment, plus qu’un régime politique particulier.
La bulle immobilière et la bulle de crédit n’ont d'ailleurs pas de frontières et se développent aujourd'hui au même moment dans des contextes économiques et culturels aussi différents que les sociétés françaises, américaines, japonaises.
 
2)      le rôle de l’état
 
On trouve sur le net, dans la presse et parmi de nombreux dirigeants politiques une opinion très majoritaire qui voudrait que ce soit « l’ultralibéralisme » donc l’insuffisance de l’Etat qui soit responsable de la situation actuelle.

La réalité va surprendre beaucoup de lecteurs, mais les faits sont là :
Dans tous les grands pays industrialisés : France, USA, Canada et autres, la part de l’Etat dans l’économie n’a jamais été aussi grande que maintenant
Cela fait près d’un siècle que cette part augmente sans cesse comme le montrent ces études : 

Sur l'ensemble des pays occidentaux : l'article de Pierre Lemieux

ou le livre des économistes Vito Tanzi et Ludger Schuknecht

Au canada : part de l'état qui est passée de 28% en 1960 à plus de 50% à la fin des années 90.

Aux USA : part du secteur public passée de 22% après guerre à 44% aujourd'hui

En France (graphique réalisé à partir de l'article de Pierre Lemieux)

etatisme.jpg
 
Quand certains tenants de la gauche altermondialiste invoquent le « paradis perdu des années 50-60 » ou le programme du « conseil national de la résistance »…ils font en réalité référence sans le savoir à une société bien plus libérale et bien moins étatiste qu’aujourd’hui. La part de l’état dans le PIB était à 34,6% en 1960…et à 55% en 1996 !
 
La vérité est que la bulle financière actuelle n’a pas été aggravée par un « ultralibéralisme » qui n’existe nulle part dans le monde…mais bien par un « ultraétatisme » sans précédent dans l’histoire.
 
Aux Etats-Unis par exemple :
- Le choix de « fuite en avant » et de stimulation artificielle de la consommation par un déficit public égal à 6% du PIB n’est possible que parce que l’état contrôle une part importante de l’économie.
- Le développement massif du crédit hypothécaire a été largement favorisé par les organismes parapublics Fannie Mae et Freddie Mac…les dates de création de ces organismes (1968-1970) sont d’ailleurs emblématiques du changement de psychologie des foules intervenu à cette époque !

- La bulle de liquidités qui a inondé les marchés boursiers et immobiliers depuis 2002 a été largement favorisée par la politique de taux bas organisés par les pouvoirs publics américains.
 
En France, on trouve également une large panoplie d’interventions de l’état (prestations sociales, lois type Robien incitant à devenir propriétaires) visant à augmenter la consommation.

Curieusement, et contrairement à ce que les partisans du "toujours plus d'état" avancent, le rôle des états et des pouvoirs publics au cours des dernières décennies a été de faire sauter tous les freins possibles limitant la croissance de la dette, et de faciliter au maximum l'endettement !

En conclusion : 

- La bulle financière actuelle n’a pas été provoquée par l’étatisme ou le libéralisme. C’est à la base un phénomène inévitable des cycles économiques (Kondratieff), lié à la psychologie des foules, qui s’est déjà produit dans le passé et se reproduira à l’avenir.
- Par contre l’action des états (dont la part a fortement augmenté dans les économies occidentales) a amplifié considérablement la bulle actuelle. Par une politique délibérée de fuite en avant et d’incitation au crédit.
 
Il est très probable qu’au cours de la crise à venir (qui sera de grande ampleur), cette accumulation d’étatisme qui s’est construite depuis 50 ans vole en éclats. Parce que les états n’auront plus les moyens de maintenir leur train de vie au niveau actuel.
 
 
 
 
 
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B
La part toujours plus importante des dépenses publiques n'est elle tout simplement pas du au fait qu'elles servent principalement à payer des services: éducation, santé, recherche d'emploi ... qui ne peuvent profiter des gains de productivité.Alors que le prix des voitures diminuent, le prix d'une consultation chez un médecin ne cesse de croître, les médecins augmentant leur revenus au même rythme que les autres.
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L
Alors là, non : tout ce qui est public ou parapublic ne peut pas s'assimiler à l'Etat. Comme il l'est dit plus haut, mais il est bon de le répéter, ce ne sont pas les dépenses de l'Etat qui progressent parmi les dépenses publiques, mais celles du système de Sécu ET des collectivités locales. Et ce n'est pas jouer sur les mots que de dire cela. La réalité est sans doute complexe, mais il n'est pas souhaitable de la simplifier au point de la priver de son sens. Une source très documentée sur ce sujet :Trésor Eco n° 26 / décembre 2007 Les facteurs d’évolution de la dépense publique en France : une rétrospectivehttp://www.minefe.gouv.fr/directions_services/dgtpe/TRESOR_ECO/francais/pdf/2007-020-26.pdf
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L
<br /> <br /> Les cotisations sociales sont l'équivalent d'un impôt obligatoire, la Sécu est un organisme financé par cet impôt obligatoire. Il est donc logique et à mon avis justifié de l'assimiler à l'état.<br /> <br /> <br /> Tout comme les collectivités locales.<br /> <br /> <br /> Ce qui compte pour moi, c'est le niveau global des dépenses publiques : le secteur publique occupe une place sans cesse plus importante dans nos économies, depuis plusieurs décennies, et créée<br /> une véritable société à irresponsabilité illimitée.<br /> <br /> <br /> http://www.unmondelibre.org/node/498<br /> <br /> <br /> <br />
P
Ces conclusions sont très hatives pour ne pas dire plus: la collusion d'hommes et de faits entre les sphères privés et publics en particulier aux USA, la philosophie de "prédation" des responsables privés formalisé dans des idéologies d'ultra droite, la nocivité des paradis fiscaux, l'inégalité sociale majeure jamais atteinte depuis 1930, l'incompétences évidentes de ces dirigeants bancaires et autres ), la confusion des ordres entre ceux qui font et ceux qui controlent(ERON), les mécanismes de l'Etat au niveau macro-économique ont largement servi l'économie et la stabilité sociale enfin une collectivité c'est  plus compliquée que des ratios!
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T
@ghostdogEn effet... il est nécessaire d'apporter des corrections à la version actuelle de l'article wikipédia sur Keynes. Ceci pourra vous aider:http://www.wikiberal.org/wiki/KeynesL'économie est l'une des grosses faiblesses de la version française de wikipédia, bien que sur Keynes je ne m'attende pas à beaucoup mieux de la version anglophone.Cordialement
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G
@ Adriantrouvé sur wikipédia à propos de Keynes :John Maynard Keynes est un économiste britannique né le 5 juin 1883 à Cambridge et décédé le 21 avril 1946 à Firle dans le Sussex. Il est en général considéré comme étant une des plus importantes figures de l'économie[1]. Pourtant, l'interprétation de son oeuvre n'est pas aisée. Jacob Viner[2] notait en 1936 à propos de l'oeuvre majeure de Keynes la Théorie générale de l'emploi, de l'intérêt et de la monnaie que « bien qu'écrite par un styliste de premier ordre, l'ouvrage n'est<br /> pas facile à lire, ni à comprendre et à juger ». Aussi son oeuvre a<br /> fait l'objet d'interprétations diverses. La plus influente demeure<br /> celle dite de la synthèse néo-classique dont les plus illustres représentants furent les prix Nobels John Hicks, qui est avec Alvin Hansen le fondateur de ce courant, Paul Samuelson et Franco Modigliani[3]. De nos jours la nouvelle économie keynésienne est relativement influente notamment à travers Joseph Stiglitz. A côté de ces écoles plutôt libérales, nous trouvons des écoles plus hétérodoxes tels que le post-keynésianisme plus étatiste ou en France l'économie des conventions. D'une façon générale son héritage intellectuel s'étend de la social-démocratie à certaines formes de libéralisme[4]. De son temps, pour Kenneth R. Hoover[5], Keynes a en Angleterre tenu une position « centriste » entre d'une part Friedrich Hayek et d'autre part Harold Laski, un des inspirateurs de l'aile gauche du parti travailliste.
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